Freud écrit : « L’inquiétante étrangeté sera cette sorte de l’effrayant qui se rattache aux choses connues depuis longtemps, et de tout temps familières [*] . » Familiers, les sujets photographiés par Rémy Marlot le sont : architectures, ornements architecturaux, paysages, végétaux. Sorte de motifs récurrents déclinés en séries, ils trouvent leur place au sein de l’espace photographique dans le foisonnement d’explorations et de propositions qu’ils offrent à l’artiste.

Rémy Marlot, Opéra, 2009. © Rémy Marlot

Dans ces photographies, le véritable sujet n’est pas l’objet photographié mais ce qu’il va générer dans l’espace de la représentation. Si le point de départ est le réel, le familier, l’artiste opère un détournement de celui-ci. Alchimiste de l’image il procède, grâce à l’acte photographique, à une transmutation de la réalité en un univers onirique. Ainsi, Rémy Marlot est avant tout un «créateur d’atmosphère », un « faiseur d’ambiance ». Ses clichés stimulent le psychisme de celui qui s’y confronte. Dotés d’une puissance d’évocation, ils proposent au regardeur le décor d’un scénario qui n’aura sans doute jamais lieu. L’attente s’impose. Cet état de latence presque suffocant pour l’esprit, à la limite de l’oppression parfois, participe de l’inquiétant et du mystérieux. Présence humaine évacuée, visions étranges, lévitation vertigineuse, Rémy Marlot façonne une certaine irréalité. Le moment de la prise de vue engendre un basculement, une métamorphose de ce qui est  photographié. L’espace photographique apparait alors comme fantasmagorique.

Dans ses images le travail de la lumière joue un rôle fondamental dans l’émergence du fantastique. La série Opéra – 2007 – témoigne de l’attachement particulier accordé au traitement de cette matière intangible et pourtant fondamentale dans la création photographique. Il s’agit ici  pour l’artiste de capter la magie de la lumière. Le choix du noir et blanc combiné à la représentation d’une lumière vacillante participe du glissement de l’image vers un monde de chimères, territoire d’une imagination libérée. Avec Opéra nous pensons inévitablement à la féérie inquiétante de La belle et la bête de Jean Cocteau où le cinéaste parle d’une « écriture à l’encre de la lumière ». Ainsi, se référer au chef d’œuvre de Jean Cocteau montre qu’il existe, dans le travail du photographe, une qualité cinématographique dans le traitement de  la densité lumineuse.

Cependant l’influence du cinéma ne se limite pas au seul maniement de la lumière. L’esthétique cinématographique apparait comme l’une des principales spécificités de sa production photographique. Les clichés de Rémy Marlot sont, dès ses débuts, imprégnés de l’univers du cinéma. Véritable cinéphile, familier de Cocteau, Godard, Fellini ou encore Hitchcock, il façonne sa culture dès l’âge de dix ans en fréquentant le cinéclub du musée Nicéphore Niepce de Chalon-sur-Saône.

Souvenirs inspirants qui influencent sa création artistique, les fictions qui ont peuplé son enfance conditionnent malgré lui son regard.  Réminiscences inconscientes, ses photographies nous plongent dans le bain des souvenirs familiers. Métaphore d’une enfance qui n’est pas celle des premières années d’une vie, les images du photographe fonctionnent comme des images mentales, sorte de rêve familier  sans cesse redécouverts.

[*] Cf. L’inquiétante étrangeté, Sigmund Freud, Paris, Gallimard, 1988.

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Rédigé dans le cadre du séminaire de M2 Histoire de l’art, mention photographie, Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Le 8 décembre 2008.

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