« L’ennui fait le fond de la vie, c’est l’ennui qui a inventé les jeux, les distractions, les romans et l’amour. » Cette phrase de l’écrivain espagnol Miguel de Unamuno [*] trouve un écho certain dans la création photographique d’Hermine Bourgadier. Depuis le début des années 2000, la jeune photographe développe un regard singulier sur la société du divertissement. La compétition, le combat, l’appât du gain, la consommation apparaissent comme les thèmes de prédilections de cette jeune photographe en quête d’occupation. A mi chemin entre étude anthropologique et rêverie nonchalante, ses photographies explorent l’univers de la distraction.

Hermine Bourgadier, Catcheur, 2008. © Hermine Bourgadier

Cependant, examiner tout ce qui dans notre société permet de lutter contre l’ennui est aussi un moyen pour Hermine Bourgadier de combattre à sa manière ce sentiment. En effet, sa création photographique est impulsée par sa propre expérience de l’ennui. Ainsi, l’ennui est à la fois moteur et sujet sous jacent de ses images. C’est ce même sentiment qui a conduit la photographe à suivre durant quelques mois une école de catch amateur. De cette expérience est née la série des Catcheurs. Réalisée en 2007, celle-ci participe de la réflexion et du regard porté sur la distraction.

En abordant le thème du catch, Hermine Bourgadier offre une approche tout à fait originale de ce sport qui n’en n’est pas vraiment un. L’exercice auquel sont soumis ces athlètes ne s’inscrit pas véritablement dans la tradition des sports de combat et autres arts martiaux. Ici, il est question de spectacle, de jeu et d’exagération. Le ring, semblable au plateau, est le lieu de la représentation. Le public – complice nécessaire – contribue, par son adhésion inconditionnelle, à la crédibilité de ce qui est en train de se jouer sous ses yeux.

Paradoxalement, de ce sport-spectacle, la photographe ne retient qu’une chose : le corps. Dans ses images, celui-ci apparaît comme « la première clef [*] » , l’élément nécessaire et indiscutable. Pour cette série, la photographe choisit de réaliser cinq clichés, cinq images représentant des corps à terre, sorte de masses inanimées. Ici, plus de ring, plus de spectateur, plus de surenchère, du catch il ne reste que l’athlète réduit à sa seule masse musculaire. Composées mais point fabriquées, ces photographies décontextualisées déroutent par l’originalité de la vision qu’elles proposent au regard. Peut-on encore parler de catch ?

Il s’agit donc de travailler la matière photographique, de créer des univers singuliers, de cultiver un équilibre fragile entre réalité et artifice. Dans ses images, quelque peu déstabilisantes puisqu’elles mettent en scène des êtres non communiquant – face contre terre pour quatre d’ente eux –, l’artiste évacue la plupart des signes ayant trait à ce sport. L’excès est mis de coté, pas de costume, pas de mimique, juste des corps à même le sol simulant le moment du chaos dans une sorte d’abandon contenu. Au-delà du sujet, ces photographies ont quelque chose à voir avec la sculpture. La vue en plongée et la maîtrise du cadrage contribuent à la sculpturalité de l’image. Dans ces clichés le corps n’est pas pensé en tant que tel, il n’est pas exhibé – à la différence de la série des Bodybuilders de Valérie Belin –, il est à l’inverse appréhendé telle une masse inerte façonnée par un éclairage diffus. A l’image des travaux d’Erwin Wurm, le corps est perçu comme un matériau permettant d’interroger les formes et l’espace de la représentation. En contenant par le cadre la densité des volumes, en jouant avec l’intimité créée par des couleurs et une lumière chaudes, la photographe engage le regardeur dans une expérimentation quasi physique de ses clichés, au plus près des corps, matières organiques silencieuses à la sensualité latente.

[*] Cf. Brouillard, Miguel de Unamuno, (trad. de l’espagnol par Noémi Larthe), Rennes, Terre de Brume, 2003.

[*] Cf. Mythologies, Roland Barthes, Paris, Editions du Seuil, 1957, p.15.

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Rédigé dans le cadre du séminaire de M2 Histoire de l’art, mention photographie, Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Le 3 novembre 2008.

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