À l’heure où le monde traverse une crise économique et écologique la Ferme du Buisson propose une lecture transversale et critique du concept de croissance avec la complicité d’artistes internationaux qui en explorent l’ambivalence au travers d’expérimentations physiques, de cycles biologiques, de formules mathématiques ou d’analyses économiques.

Simon Starling, Autoxylopyrocycloboros, 2006. Diaporama couleur, muet. 3’ en boucle. Courtesy Neugerriemschneider (Berlin), © Ruth Clark/Simon Starling

Teinté d’humour, entre ironie et utopie, l’exposition «Plus de croissance, Un capitalisme idéal…» propose une lecture originale du concept de libéralisme économique. Plus de croissance ? Ou plus de croissance du tout ? La création artistique démontre une fois de plus qu’elle peut tout interroger et qu’elle revêt aujourd’hui plus que jamais une dimension anthropologique abordant l’économie, l’urbanisme, la physique, la biologie ou encore la botanique.

L’exposition regroupe des artistes qui, tels des chercheurs, questionnent la notion de croissance en mettant à mal l’acception néoclassique. Les plasticiens exposés à la Ferme du Buisson en exploitent à la fois les potentialités et les limites au cœur de systèmes entropiques. Dans une période malmenée, l’art pose donc un regard réflexif sur des systèmes à priori défectueux qui semblent avoir atteint leurs propres limites. Une analyse sur l’état actuel de nos sociétés est ainsi proposée avec en filigrane un questionnement sur la production artistique elle-même.

Les œuvres de Michel Blazy ont pour sujet principal les processus de décomposition de la matière. Fresque organique en mutation aux tonalités orangées, le Mur de pellicules se déploie sur la totalité d’un pan de cimaise. Badigeonné d’agar agar, il présente une mue en combinant économie de moyen et d’énergie.

Michel Blazy, Le Mur de Pellicules et Fontaine de mousse, 2012, courtesy de l’artiste et Art : Concept – Paris, Ferme du Buisson © Aurélien Mole

Michel Blazy met ici en évidence les états transitoires, mutations, décompositions et renaissances perpétuelles de la matière aux prises avec le temps. Plus qu’une représentation littérale, l’œuvre aborde de manière processuelle et expérimentale la thématique du vivant, illustrant, en direct, le cycle naturel de toute vie.

D’apparence statique le Mur de pellicules est en réalité animé par une multitude de mouvements, quasi imperceptibles, qui le recomposent à chaque instant. Dispositif évolutif, la pièce expérimente la décomposition incontrôlée de micro-organismes dans un espace-temps défini. Par sa capacité à s’auto-générer dans l’espace d’exposition et à disparaître, l’œuvre déjoue l’économie du marché de l’art tout en remettant en question la définition même du statut de l’œuvre d’art.

De part et d’autre du mur de Michel Blazy, se font écho une vidéo de Superflex et un diaporama de Simon Starling. Deux dispositifs clos dans lesquels opèrent des «naufrages».

D’un côté, la vidéo Flooded McDonald’s de Superflex pose un regard ironique et critique sur les modes de consommation de la société contemporaine. Vingt et une minutes, c’est le temps qu’il faut pour engloutir un MacDonald sous les eaux. La vidéo reprend les codes du cinéma sans pour autant avoir recours au scénario catastrophe. Dans un calme inquiétant l’eau monte progressivement envahissant une salle vidée de toute présence humaine. Tenant à la fois du rêve et du cauchemar, de l’ironie et de l’angoisse, de l’immersion et de la subversion, l’œuvre fonctionne comme une métaphore des lieux et des symboles qui constituent notre imaginaire et structure notre quotidien.

Face à cet engloutissement, l’œuvre de Simon Starling expérimente, quant à elle, un processus de métamorphose et de cycle. Autoxylopyrocycloboros est une succession de photographies présentées sous la forme d’un diaporama qui documente une performance réalisée par l’artiste à bord d’un bateau à vapeur. L’enjeu était de faire avancer l’embarcation en utilisant comme combustible le moyen de transport lui-même. La projection tourne en boucle présentant un système entropique dans lequel «Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme».

La diversité des œuvres présentées participe du discours plurivoque de l’exposition. La fascination qu’opère la croissance associée à une vision positive du progrès, à la vie et aux énergies vitales, et celle compromise d’un système économique et de sa machine financière toujours plus anthropophages.

Témoin de cette ambivalence, le diptyque-vidéo All That Is Solid Melts into Air du cinéaste Mark Boulos soulève, par une scénographie en miroir (deux écrans face à face) ce rapport de tensions. L’installation vidéo oppose, dans une dialectique faite de proximité et de distance, les rebelles du Delta du Niger aux traders de la Bourse de Chicago. Par l’attitude menaçante et le jeu exagéré des protagonistes, Mark Boulos met à jour un rapport de cause à effet entre la spéculation financière et la dépossession des énergies des travailleurs nigérians. Sous la forme d’une parabole, All That Is Solid Melts into Air raconte le voyage et les mutations de la matière première depuis sa production au Niger à sa dissolution abstraite sur les écrans informatiques des marchés financiers.

Dans un autre dispositif en miroir, l’installation The Office of Imaginary Landscape de Charlie Jeffrey propose, quant à elle, un «paysage bureaucratique» dans lequel les espaces de bureaux sont envahis par la croissance d’une végétation exogène. Les objets manufacturés semblent retourner à l’état de nature. Les matériaux employés, la plupart récupérés, suggèrent l’idée d’une transformation possible de la matière, établissant un rapport entre l’objet et l’énergie. L’idée de prolifération quasi incontrôlée évoque autant la croissance des plantes que l’expansion de l’univers.

L’exposition «Plus de croissance, Un capitalisme idéal...» joue sur l’ambivalence en développant dans l’espace un propos ouvert qui interroge la création contemporaine: sa place, son rôle, ses moyens de production, ses modalités de réception et de sens.

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ARTISTES

Michel Blazy, Maxime Bondu, Simon Boudvin, Mark Boulos, Blanca Casas Brullet, Charlie Jeffery, Toril Johannessen, Gustav Metzger, Dan Peterman, Thorsten Streichardt, Simon Starling, Superflex, Lois Weinberger

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parisART, mai 2012

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Consulter : site de la Ferme du Buisson