« Complexe » est bel et bien le mot qui qualifie la création de Jeff Guess. Artiste contemporain aux multiples casquettes – photographe, plasticien, performeur, programmateur – ses expérimentations explorent aussi bien le territoire des arts plastiques que celui des procédés numériques. L’hétérogénéité de ses propositions artistiques trouve sa cohérence dans une investigation minutieuse des liens existant entre le photographique, le filmique et l’algorithmique.

L’installation Désambiguïsation – 2004 – apparait comme l’une des pièces de cette recherche riche et composite. Le titre de l’œuvre fait référence au procédé de désambiguïsation sémantique qui permet de décider du sens des unités lexicales dans un texte. Il constitue une « tâche intermédiaire » essentielle dans le cadre de nombreux processus de traitement automatique de la langue et principalement dans les applications visant la compréhension de texte en langage naturel. Ainsi, Désambiguïsation travaille en temps réel la sémantique de phrases extraites d’internet et dont les mots recomposent du sens au fur et à mesure de leur dérive dans un espace en trois dimensions. Il s’agit donc de générer, grâce au programme informatique, des résonnances sémantiques par le décryptage, l’analyse et la reformulation de dépêches de journaux en ligne. Cherchant à mettre en œuvre le potentiel d’articulation des différents énoncés, cette performance ouvre un espace dans lequel est expérimentée la matérialité du langage.

Au-delà de la technicité du niveau de réalisation, cette œuvre propose une nouvelle manière d’appréhender l’espace littéraire. Le fond noir se présente comme un lieu dégagé de toute nécessité. Espace virtuel, fenêtre d’accès à un champ d’exploration des conditions de production d’une forme de langage, lieu d’une écriture littéraire, Désambiguïsation apparait comme un territoire d’investigations complexes à la croisée de plusieurs univers. Lieu de questionnements radicaux, l’œuvre propose à la fois une expérimentation de la densité du mot – présenté dans la matérialité brute de leur présence – et une manifestation de la précarité de cet espace qui ne peut contenir leur flux continu.

Infini errance sans cesse renouvelée, l’écriture est ici présentée dans sa réalisation même, offrant le spectacle d’un événement sans passé, ni avenir. Avec Désambiguïsation le spectateur se situe dans la présence de l’œuvre. Expérience totale qui dépasse le cadre de l’expérience sensible, elle lui impose une participation active. Il s’agit pour le spectateur-lecteur de se libérer de ses référents traditionnels afin d’appréhender librement ce qui est en train de se jouer. Est-il possible d’aborder Désambiguïsation comme une nouvelle modernité poétique à l’image de celle engagée par Stéphane Mallarmé?

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Rédigé dans le cadre du séminaire de M2 Histoire de l’art, mention photographie, Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Le 15 décembre 2008.

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