Virginie Balabaud —alias Globuline— expose ses travaux depuis 1999. A la frange du documentaire et de l’art vidéo, utilisant la photographie comme médium principal, l’artiste plasticienne place la question de l’objet au cœur de sa démarche. Elle interroge à travers lui la mémoire, la conservation, la transmission, le temps, etc. questionnant ainsi l’Etre au travers de l’Avoir.

Virginie Balabaud, Le Grenier et ses secrets, 2000. Photo, © Virginie Balabaud

Laetitia Chazottes. Vous développez une démarche artistique avec pour support de travail principal la photographie, que vous déclinez en séries, installations et vidéos, comment vous définiriez-vous en tant qu’artiste ?

Virginie Balabaud.C’est particulièrement difficile car cette question renvoie à la question de l’Etre. C’est un  peu comme si vous me demandiez de me définir en tant qu’être, cela m’est impossible pour l’instant … Disons que j’en saurai un peu plus à la fin de ma vie…

Je développe mon travail artistique depuis plus de douze ans et j’utilise la photographie comme médium principal que je combine le plus souvent avec de la vidéo.

J’ai fait évoluer la technique mais l’appareil photo revient constamment que ce soit en 24×36, en polaroïd ou d’autres formats.Je l’utilise pour capter le réel. Je travaille parallèlement l’écriture, la vidéo ou encore le dessin vectoriel cependant, depuis mes débuts, le médium photographique est au cœur de ma démarche.

L’œuvre prend ensuite sa forme au montage puisque le plus souvent les photographies sont regroupées et mixées avec de la vidéo. C’est à ce moment là qu’elle forme une narration qui peut être, par ailleurs, plus ou moins hermétique.

Votre  travail peut apparaître hétérogène. Vous expérimentez plusieurs voies: je pense par exemple à l’installation de Vu ou à la série Dorénavant dans lesquelles les sujets  abordés sont très différents de ceux que l’on peut voir dans votre travail sur Berlin ou dans votre vidéo Objet petit tas. Comment expliquez-vous ces variations?

Virginie Balabaud. L’objet est le fil conducteur de mon travail. Je questionne à travers lui la mémoire, la conservation, la transmission, le temps. Comment un objet va-t-il être conservé? Va-t-il être transmis ou non à d’autres? En quoi est-il un support de projection? Etc.

Mon travail s’articule donc autour de la mémoire des individus à travers leurs objets. Dans la plupart des vidéos, on ne visualise pas les personnes directement mais on parvient à les approcher, à tenter de les cerner grâce à cette représentation que j’effectue par la photographie de leurs biens. J’essaie de travailler la question de l’Etre à travers celle de l’Avoir.

D’un côté l’objet photographié travaille plus sur le rapport de l’humain à la mort, au manque, à l’absence, alors que dans les autres travaux on est du côté du vivant, du corps, de l’énergie et de quelque chose qui est très directement sexuel. Autant dans les objets je fais mon possible pour que soit présente cette apparence de vivant, autant dans le travail photographique des corps ou des villes, je pense qu’il y a quelque chose de beaucoup plus mortifère qu’une énergie du corps. On atteint quelque chose qui est peut-être un peu plus complexe dans la vitalité humaine entre Eros et Thanatos. Le paradoxe c’est justement de représenter l’objet comme quelque chose détenant la trace du vivant alors que le corps humain, il sera représenté dans sa complexité entre le côté érotique et le côté mortifère.

Dans Globuline cherche un mari, l’approche de la question de l’objet est différente…

Virginie Balabaud. En effet, dans Globuline l’objet est transitionnel. Il s’agit d’un sac à dos rempli de différentes choses. Dans cette vidéo, on part du virtuel pour atteindre le réel. Les objets sont ici des médiums, des supports à l’imaginaire. Ils étaient mis en jeu. J’invitais les hommes que je rencontrais à les utiliser afin que nous puissions construire quelque chose ensemble, une histoire.

Vous avez présentez récemment votre performance, Une année sans une autre. Pouvez-vous nous expliquer ce projet?

Virginie Balabaud. J’ai présenté trois vidéos : Le grenier et ses secretsJour de l’acte et Objet petit tas ainsi qu’une lecture de brouillons de lettres d’une patiente hospitalisée en psychiatrie durant la seconde guerre mondiale.

Il s’agit de travaux sur la résistance de l’objet au temps dans un espace donné. Les lettres lues sont, quant à elles, les traces de quelqu’un qui n’a jamais pu sortir de l’hôpital dès lors qu’elle y a été internée. Les courriers qu’elle envoie et qu’elle reçoit sont donc les uniques bribes de ce qu’elle peut percevoir du monde extérieur et de la société qui évolue sans elle…

A cette occasion le public a pu découvrir Objet petit tas, pouvez-vous revenir sur cette vidéo qui est la dernière de votre trilogie ?

Virginie Balabaud. Objet petit tas est un projet qui a mis du temps à éclore car la personne que j’ai filmée avait beaucoup de difficultés à me laisser pénétrer dans son intimité. Nous avons beaucoup échangé avant que je puisse accéder à son univers. Au moment où j’ai enfin pu entrer dans son appartement le travail a véritablement commencé.

Cette femme accumule des objets. Ceux-ci apparaissent comme les supports de sa mémoire tout en lui offrant la possibilité d’imaginer un futur. En visualisant ces objets, elle se remémore sa vie. Elle retrace ainsi ses rencontres, ses relations aux autres, etc. Cependant, en accumulant, cette personne a  tendance à s’enfermer et à réduire dramatiquement son espace vital. C’est ce que l’on nomme le syndrome de Diogène.

La seule issue possible à ce type de comportement est l’hospitalisation et le désencombrement de l’appartement. La personne revient ainsi chez elle avec un espace plus libre cependant, le noyau du problème étant le manque celle-ci va recommencer à accumuler.

L’alternative que je proposais donc à cette dame était d’utiliser les tissus qu’elle stocke pour construire un objet artistique partageable et visible. L’idée était de réaliser une tente qui serait présentée dans des lieux dédiés à l’art et qui de fait n’enfermerait plus mais au contraire permettrait une ouverture vers les autres.

Une fois de plus, c’est la thématique de l’objet dont il est question…

Virginie Balabaud. L’être humain est voué à une fin certaine, subissant de fait les aléas du temps. L’objet manufacturé, quant à lui, se dégrade plus lentement.

Quant je travaillais sur Le grenier et ses secrets, les objets avaient plus de 150 ans néanmoins, je sentais que leur destruction était très proche. Quand je manipulais les petits sacs, la structure du tissu se détruisait et partait en poussière. De la même façon que l’être humain va partir en poussière, l’objet va lui aussi se désagréger. Sa disparition peut pourtant être beaucoup plus lente.

Les objets que je photographie vont donc parfois perdurer. Ils vont se ternir, être poussiéreux, rouillés mais ils restent, à mon sens, souvent plus solides que l’être humain dont ils vont porter toutes les traces.

Un objet n’est jamais conservé pour rien, cela a toujours un sens. C’est cette signification que j’essaie de capter par la photographie.

Et dans Jour de l’acte

Virginie Balabaud. Dans Jour de l’acte, les objets sont les indices d’une vie familiale, d’une histoire, d’un secret. Ils ont été laissés à l’abandon pendant la vente de la maison et j’essaie de reconstituer le drame familial à partir de cette incapacité à les jeter. La notion de conservation est un fil conducteur.

Ici il n’y a pas de filiation, personne ne va hériter des objets. Par l’image photographique, j’en créé donc une représentation, les donnant ainsi à voir à d’autres… La filiation se fera peut-être dans l’œuvre…

Je ne transmets donc pas les objets mais leurs représentations.

Ca commence toujours par une matière pour finir par une représentation.

///

Consulter : site de Virginie Balabaud