Figure libre de l’art contemporain, Nathalie Fiks réinvente, depuis une dizaine d’années, le métier de galeriste. De son loft- galerie, aux manifestations hors les murs, en passant par la création des Editions Chatoyantes, elle n’a de cesse de renouveler son activité, repoussant toujours plus loin les limites de sa profession…

© Sébastien Duijndam

Laetitia Chazottes. Pouvez-vous revenir sur votre parcours?

Nathalie Fiks. Vétérinaire de profession, je suis arrivée dans le monde de l’art, un peu par hasard, il y a une dizaine d’années… A 30 ans, j’ai poussé la porte du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris où j’ai découvert l’exposition Calder. J’ai littéralement été renversée par la poésie et la beauté de ses mobiles. J’ai alors commencé à fréquenter les musées, univers jusqu’ici inconnu. La rencontre avec l’art s’est donc faite par le travers, à une époque où je me questionnais sur mon parcours professionnel.

Dès le départ, je me suis intéressée à la peinture. J’ai pris des cours aux Beaux Arts de puisj’ai continué à pratiquer dans l’atelier d’Antoine Bénard. L’art a pris de plus en plus de place dans ma vie.

Par la suite, j’ai eu la chance de bénéficier d’un local familial dans le 9e arrondissement de Paris. L’idée de départ était d’ouvrir une galerie pour une durée de deux ans.  Objectivement, je me disais qu’il était impossible sans carnet d’adresses de créer un lieu d’exposition. Cependant, une fois que j’ai eu l’espace j’y ai cru… Je suis donc partie de rien. J’avais seulement en tête une utopie: en faisant des expositions de qualités, je pourrais faire venir le public. J’ai ouvert la galerie Horizons en 2005.

Au regard de votre parcours, comment vous positionnez-vous par rapport aux nombreuses galeries parisiennes?

Nathalie Fiks. C’est une question délicate. J’ai véritablement pénétré le milieu de l’art en 2005. C’est à ce moment là que j’ai découvert la réalité du marché de l’art ou plutôt des marchés de l’art… On entend habituellement par marché de l’art la bulle spéculative où les transactions s’opèrent en moyenne sur des œuvres à plus de 50 000 euros. Mais il existe aussi un autre marché, centré sur des artistes vivants, non spéculatifs qui est celui sur lequel je travaille.

Qu’est ce qui vous guide dans vos choix?

Nathalie Fiks. J’ai une approche très humaine. Je privilégie la qualité des œuvres, la générosité et le professionnalisme.

Ce qui m’intéresse derrière la peinture c’est l’humanité. Ce médium met en œuvre des moyens qui sont, au fond,les mêmes depuis Lascaux… La peinture renvoie en quelque sorte à l’histoire de l’humanité. Le  côté archaïque des moyens employés, même s’ils ont évolués avec le temps, me touche profondément. Je me demande toujours, comment il est possible de donner à voir en peinture des choses qui nous touchent encore, et encore…

Selon vous quel est le rôle d’un galeriste?

Nathalie Fiks. La question du rôle du galeriste est complexe de part la diversité des profils.

Je place l’échange au cœur de mon travail. A mon sens, un galeriste ne peut pas et ne doit pas porter un artiste. Il doit le soutenir.  Il est nécessaire d’établir un échange assez subtil avec les artistes afin de pouvoir les accompagner sans jamais les orienter ou trop influencer leurs parcours.  Evidemment, l’influence est réelle du fait des échanges et des relations qui s’établissent à long terme. Il faut donc rester vigilant. C’est un accompagnement mutuel et réciproque.

Un aspect important de mon travail est la diffusion. Le regard des autres est fondamental. Il s’agit donc pour moi de donner un espace d’exposition où les œuvres conçues dans le secret de l’atelier peuvent aller à la rencontre des public. C’est un moment crucial pour l’artiste…  Un artiste veut toujours montrer beaucoup – c’est bien naturel -: ses travaux les plus récents et l’ensemble de  ses travaux les plus récents (rires). Mon rôle est de l’accompagner dans ses choix et dans  la mise en espace.

Dans une exposition monographique, le défi est de donner au visiteur un regard d’ensemble sur une œuvre en 7 minutes! C’est pour cela que l’accrochage et le choix des pièces sont très importants. L’objectif est de permettre à quelqu’un qui ne connaît pas l’artiste de s’immerger dans son travail. Lorsque je conçois de grandes expositions collectives, l’enjeu est double: il y a le choix monographique et la visibilité d’ensemble.

En 2010 vous décidez de fermer votre espace dans le 9e arrondissement et de faire de votre appartement un lieu d’exposition et de rencontres autour de l’art contemporain… Qu’est-ce qui vous a motivé?

Nathalie Fiks. J’ai dû fermer la galerie Horizons en raison d’une inondation au sous-sol. J’ai alors décidé d’exploiter mon appartement temporairement pour maintenir mon activité et attendre de trouver un autre espace d’exposition. Finalement, le fait de ne plus avoir les charges fixes d’un local m’a permis d’élargir les activités de la galerie et de me lancer dans de nouveaux projets…

J’ai un lieu de vie qui se prête à la conception de petites expositions monographiques. Ce sont des moments de partages, intimes et chaleureux, avec les visiteurs. La rencontre avec les œuvres dans un cadre d’habitation n’apporte pas la même visibilité qu’au sein d’un espace dédié. Cependant, exposer chez soi, c’est nécessairement s’adresser à un cercle restreint. Il n’y a pas, comme dans une galerie ayant pignon sur rue, le partage, la rencontre imprévue… Par ailleurs, l’espace est limité. C’est pour cela que régulièrement la galerie sort de ses murs pour participer à des foires, des salons, etc. Dans ce contexte la dimension de rencontre est présente mais il manque celle d’exposition qui n’est pas viable dans l’espace restreint d’un stand

Pour compenser ce «manque» je loue, tous les deux ans, l’Espace Commines. Je développe en grands des expositions monographiques et une visibilité collective des artistes soutenus par la galerie.

Est-ce que cela signifie que le métier de galeriste évolue et doit être réinventé?

Nathalie Fiks. Les métiers de galeriste et de marchand d’art ont plus d’un siècle. Il est évident qu’ils doivent évoluer et se diversifier comme toute activité, et notamment au regard de la situation économique actuelle.

Exposer en appartement est désormais bien  accepté. C’est en quelque sorte entré dans les mœurs. Qui plus est, montrer des œuvres dans un cadre habité leurredonne une dimension humaine.  Cette approche m’intéresse énormément.

La création en 2011 des Editions Chatoyantes s’inscrit-elle dans cette dynamique?

Nathalie Fiks. Les Editions Chatoyantes sont nées de l’allègement des frais inhérents à la gestion d’un lieu d’exposition. La fermeture de la galerie Horizons m’a permis de libérer des financements pour renforcer la diffusion des artistes que je représente.

Bien entendu, il y a aussi eu la rencontre avec Daniel Bry, l’imprimeur pionnier qui soutient et utilise l’édition numérique depuis plus de vingt ans…

Editer  des multiples —numérotés et signés— permet de vendre des pièces relativement accessibles.  Cela augmente la diffusion des œuvres.

Le développement des Editions est bénéfique à la galerie mais aussi aux acheteurs qui peuvent détenir un équivalent de l’original à des prix accessibles. Elles sont également un premier pas dans une dynamique d’acquisition, permettant des premiers achats.

Par ailleurs, l’édition soutient la vente de peintures originales. Le lancement d’un livre m’a permis récemment de vendre deux grands formats. Une relation vertueuse s’établit entre l’édition et la peinture.

En 2012, vous lancez la première édition de Figure Libre. Pouvez-vous revenir sur ce projet? Comment est-il né?

Nathalie Fiks. Figure Libre est né d’un besoin impérieux  de constituer des expositions «grands formats», d’étendre la galerie hors des murs du loft. Une envie de grandeur en somme! J’avais besoin d’accéder à un grand espace. Je veux toujours plus grand… (rires)

Monter Figure Libre à l’Espace Commines relevait  du coup de poker!

L’objectif de la première édition de la biennale était  de donner de la liberté, de l’ouverture, de l’oxygène,  tant à la galerie qu’aux artistes et aux visiteurs.

Du 5 au 8 juin 2014 aura lieu Figure Libre II.  Quelle est la ligne directrice de cette nouvelle édition? Quels artistes allez-vous présenter 

Nathalie Fiks. Avec cette seconde édition, je remets tout en jeu….

Toutes générations confondues, Figure Libre II c’est: cinq peintres, un photographe, une plasticienne et une sculpteuse. J’ai limité à huit, le nombre d’artistes présentés. Je cherchais un renouvellement que je n’ai pas complètement trouvé ; le décès de Pierre Matthey en février m’a amenée à repenser l’exposition. Je ne pouvais pas concevoir Figure Libre II sans lui rendre un hommage. L’œuvre de Pierre Matthey aura donc une place importante dans cette seconde édition.

Lors de Figure Libre I, j’ai entrepris de faire se croiser les arts en mettant en place des  collaborations qui m’ont permis, au sein de l’exposition, de développer d’autres expressions culturelles.  Avec la seconde édition, je renforce cet aspect. Figure Libre II dépasse le cadre d’une simple exposition, c’est véritablement une manifestation d’art contemporain. L’exposition reste néanmoins au cœur de l’événement. Autour d’elle s’organisent des interventions plutôt libres dans le domaine de la littérature, de la musique, de l’éveil des enfants. Il y a également un cycle de conférences autour de la création contemporaine.

Monter une grande exposition collective sur quatre jours permet d’attirer beaucoup de monde. La biennale génère une dynamique porteuse. C’est un moment d’échange, de regards croisés, de rencontres innovantes.

Des projets à venir…

Nathalie Fiks. J’aimerais à terme ouvrir la biennale à d’autres professionnels dont j’apprécie le travail et enrichir la programmation. J’ai également envie de créer un autre événement pour les années impaires. Ce sera probablement autour de l’édition…

En attendant, Figure Libre reste le temps fort de la galerie.

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Propos recueillis le 13 mai 2014

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Consulter : site internet de la Galerie Nathalie Fiks